« Plus tard je devais penser à l'Amérique comme à une immense Cité de la Nuit étalant sa kermesse criarde de Times Square à Hollywood Boulevard - appel de juke-boxes, gémissements du rock-n-roll : l'Amérique nocturne dont les villes-noires se fondent dans la forme inévitable de la solitude.
Souvenir de Pershing Square et de ses palmiers apathiques. Central Park et ses ombres frénétiques. Cinémas aux heures moroses du matin. Rues éventrées de Chicago... ».
Premier roman de John Rechy, en grande partie autobiographique, Cité de la Nuit est devenu un best-seller international en dévoilant la face interdite d'une jeunesse américaine en détresse au tournant des années soixante.
Johnny Rio, ex-prostitué, rentre à Los Angeles après trois ans d'un exil choisi à Laredo, Texas, ville de son enfance.
Au contact de la métropole, il est assailli par les souvenirs de sa vie passée et submergé par un désir de conquête qu'il était parvenu à brider. Au gré des cinémas, des plages, des parcs de la cité des anges, porté par la musique rock en fond sonore, Johnny Rio, poussé par une force irrépressible, une compulsion de séduction, multiplie les rencontres et les étreintes anonymes. Dorian Gray des temps modernes, Johnny Rio est mu par un narcissisme exacerbé et ne supporte nulle concurrence sur le vaste marché du sexe où il rôde constamment, aspirant à être l'unique objet de désir de chaque homme croisé. Rongé par la culpabilité et peu à peu envahi par une angoisse insidieuse que seul parvient à dissiper, l'espace d'un instant, un contact fugitif, Johnny met en place un jeu aux règles fluctuantes : pour reprendre le dessus sur le « Parc » et sur ses propres pulsions, il lui faut séduire trente hommes, et donc autant de « numéros », en dix jours.
Préfigurant le Démon de Hubert Selby Jr, Numbers offre l'examen systématique d'une obsession dévorante (frisant parfois le comique), mais livre aussi le témoignage précieux d'une topographie du désir dans le Los Angeles des années 60, terrain de jeu subversif d'une sexualité clandestine et désormais mythique. L'attention portée à l'environnement, à la végétation, à la lumière et aux symboles, confère au texte un caractère quasi élégiaque dont se dégage une nostalgie entêtante.
Numbers offre au lecteur une réflexion universelle sur le passage du temps et la hantise de la mort, servie par une langue contemporaine, abrupte et crue, aux envolées poétiques saisissantes.