Joel Kupperman était l'enfant prodige, le gentil garçon yankee pendant la Seconde Guerre mondiale, connu dans tous les foyers américains grâce à ses apparitions remarquées dans la célèbre émission Quiz Kids. Il résolvait des problèmes de mathématiques en un temps record, mais personne ne lui expliquait la solution d'un autre problème : ce qu'il ferait quand il serait vieux. Enfant, il connaissait toutes les réponses, mais aujourd'hui, atteint de démence, il a du mal à répondre aux questions de son fils. Pourtant, c'est Michael Kupperman, lauréat du prix Eisner, qui écrira la biographie de son père.
Autour de trois lettres de Lise Waterstone, sa fiancée disparue, le récit des errances romantiques du pianiste Graham Schalken à Stockholm, en 1906. Huit chapitres construisent une élégie retenue et amoureuse, portée par les dessins elliptiques de Christophe Poot et son trait laconique. La quatrième de couverture décrit l'ambiance : "Stockholm, 1906. J'ai choisi de jouer une pièce transcendante de Liszt, Bénédiction de Dieu dans la solitude. Mon interprétation fît grande impression. La salle était fort sombre et on avait placé, en équilibre sur le piano, une bougie. Pendant que je jouais, elle tomba dans le ventre de l'instrument." Graham Schalken.
Ugly Babies a neuf chapitres, comme les neuf mois de la grossesse. Léonie mène l'existence ennuyeuse d'une adolescente ordinaire, lorsqu'elle découvre qu'elle est enceinte. Elle décide, sans conviction, de garder le bébé et sa vie bascule dans le cauchemar : une pandémie de nouveaux-nés anthropophages et matricides s'abat sur la planète. Qui mène sa vie, qui dirige son existence, qui choisit ? Léonie est comme mue par une force extérieure. Quelle est cette force, quel est son but ? Parviendra-t-elle à sauver le monde, ou simplement elle-même ?
Un limerick est un poème humoristique, à l'origine en anglais, de 5 vers rimés (rimes aabba), de caractère souvent grivois, irrévérencieux ou irréligieux. Un rimelick ou une rimelique est une fantaisie parisienne dûe à l'imagination à la métrique rigoureuse de Gérald Auclin (Dame Pipi Comix, The Hoochie Coochie). Nul badaud de Paris n'échappe à cette fusion de l'irrévérence rabelaisienne et de l'absurdité britannique.
Les grandes oeuvres ont toujours inspiré les artistes des générations suivantes. Certaines images deviennent iconiques et suscitent l'envie d'y revenir. En croisant les références de la culture populaire (BD, cinéma, street art...), Chanic nous propose d'infinies variations autour d'une image qui, à l'origine, faisait l'éloge de la ténacité lors d'une séquence inoubliable qui procédait déjà de l'itération.
Un tram qui n'arrive pas, un drap qui flotte dans le ciel, tel un fantôme, des néons mal installés sur l'enseigne d'un magasin, un livre et une diapositive. "Le Titre ne convient pas" trace les rapports entre des objets et des idées éloignés dans le temps et dans l'espace, mais qui, finalement, nous mènent toutes en un lieu inhospitalier et nocturne. Un livre qui commence par l'évocation d'un autre livre et celle d'un poème de J. E. Eieleson pour nous parler de nos relations avec nos ancêtres et avec les traces laissées par l'Histoire et les hommes, la façon dont s'organisent notre mémoire et nos souvenirs et les petites épiphanies domestiques, pour finir somnambules sous un pont de Rome.
Dans la mythologie grecque, Ouranos ( ???a???: « celui qui fait pleuvoir ») est une divinité primordiale personnifiant le Ciel et l'Esprit démiurgique. Ce livre fait suite à Gaia, premier livre (et grand succès) de Thierry Cheyrol, paru en 2017 à La 5e Couche. Gaia (la Terre) est l'épouse d'Ouranos. Tel le Dieu de la Genèse séparant le firmament de la terre, Cheyrol se tourne (naturellement) vers les astres, après avoir exploré les entrailles fécondes de notre planète. Ainsi découvre-t-on une continuité, un isomorphisme, une «isoplastie», du bas et du haut (si tant est que ces mots aient encore du sens), du micro au macro. Il est un mot galvaudé, dès qu'il s'agit d'aborder l'oeuvre d'un auteur, qu'il faudra bien employer ici: Cheyrol nous délivre un Univers. Des astres imaginaires et d'improbables aérolithes filent au long des pages, comme autant de motifs graphiques qui n'ont d'abstraits que l'apparence. Le dessinateur décrit des invasions, des connexions, des fusions, des propagations, des conflagrations et des conquêtes, dans un bouillonnement dont on ne sait s'il est cataclysmique ou créateur, à moins que ce ne soit la même chose.
Ce livre met en parallèle le thème du voyage et celui de la vie de couple. Les étapes de voyage sont utilisées comme métaphore des différentes phases de la relation amoureuse. Le couple est placé dans un univers métaphorique à la fois actuel et intemporel. Bien que les éléments appartiennent à une époque contemporaine, ils sont choisis pour leur capacité à renvoyer à des « situations type ». L'aéroport, l'autoroute, la plage ou le camping sont des lieux chargés de références communes. Ce sont aussi des espaces à l'intérieur desquels la manière de se déplacer est très dirigée, ce qui correspond à la mise en place d'un circuit de lecture en étapes. Quant aux personnages, ils sont soumis à la même logique que le décor. Ils n'ont pas de prénom, pas de caractères clairement identifiables, pas d'histoire. Sans vêtements, ils n'appartiennent à aucune époque précise. Interchangeables, ils sont finalement davantage pions que personnages. Leur nudité les rend vulnérables, et les ramène à un état primaire, en décalage avec les lieux dans lesquels ils évoluent. Des scènes qu'ils pourraient connaître dans leur vie quotidienne sont extraites de leur contexte et placées dans un univers allégorique. La mise à distance de toute particularité permet de renvoyer le lecteur à des situations qu'il connaît, de manière à pouvoir ensuite les détourner de leur sens habituel : tout le monde sait comment fonctionnent un aéroport et une relation de couple, mais pas qu'un aéroport peut fonctionner comme une relation de couple. L'histoire racontée est à chaque fois un peu la même, et un peu différente, comme si les personnages répétaient la même pièce de théâtre en s'amusant à changer de décor ou à intervertir leurs rôles. Car tour à tour, au fil des séquences, les personnages échangent leurs places. C'est une histoire qui n'avance pas. C'est un circuit qui tourne en rond, tout comme la vie de couple lorsqu'elle répète inlassablement les mêmes scénarios. Les personnages sont enfermés dans un jeu les condamnant à parcourir sans fin la boucle d'un même plateau.
L'oeuvre poignant de Judith Forest enfin réédité en intégrale : les cultissimes 1h25 et Momon, Mister John, Travelling, etc. accompagné d'un appareil critique, des entretiens avec l'auteure, les articles marquants de l'époque, des croquis et dessins préparatoires.
Judith Forest est une comète. Au long de sa courte et brillante carrière, qui n'aura duré que trois ans, elle aura été l'auteure de deux livres qui auront marqué leur époque et défrayé la chronique, avant de disparaître sans laisser de trace. Elle avait à peine plus de vingt ans (sa date de naissance est incertaine). Dans le second de ses livres, elle évoquait déjà son désir et son impression de disparaître, et son envie de se consacrer, loin du monde et des hommes, à l'herboristerie.
Avec des contributions de Xavier Löwenthal, Thomas Boivin, William Henne, François Olislaeger, Fabrice Neaud, Thierry Groensteen, Morgan di Salvia, Clément Solym, Memphis Jack, Alain Lorfèvre, Romain Brethes, Nicolas Ancion, Marine Gheno et Christophe Poot.
2280 compile une collection de fameuses couvertures de bande dessinée déconstruites et reconstruites artisanalement (au feutre) selon un algorithme singulier mis au point par l'auteur. Il y a 150 ans, l'art moderne s'est appliqué à mettre à mal la figure, à coup de schématisation, de géométrisation, de déconstruction jusqu'à son oblitération (impressionnisme, cubisme, suprématisme...) Depuis, les artistes jouent de cette tension entre abstraction et une figure qui n'a cessé de réapparaître depuis.
Le résultat kaléidoscopique des "2280" relève d'un nouveau type de tension : la figure est quasi-absente, non pas invisible, parce qu'elle est entièrement là, certains diraient subliminale. Si on s'éloigne, le motif se révèle parfois. La figure est rendue absente mais elle est en même temps bien présente dans la mémoire de l'amateur de bande dessinée. La tension figuration-abstraction se joue dès lors exclusivement dans la tête du regardeur, entre les formes éclatées que son oeil perçoit et ses souvenirs.
L'atomisation de cette image, a priori unique (la plupart des couvertures de livre ne montrent qu'une seule image), sa dissolution géométrique dans une grille renvoie à cette autre grille, celle qui opère au sein des planches de bande dessinée.
Après une dure journée d'usine, quoi de mieux que d'aller s'en jeter un petit derrière le gosier? Après Querelle de Brest, après l'Opéra de Quat'Sous, Hareng couvre-chef est une évocation mythique et fantasmée des caves enfumées et des tangos au bord des docks. Dans ce récit illustré, le trait expressif et éclaté émerge des fumées irritantes des bas-fonds esquissés par Christophe Poot. Il réinvite une langue qui mêle à la fois onomatopées et expressions créées de toutes pièces. Ce livre est paru en 2001, mais l'auteur n'a depuis pas abandonné ses penchants pour le monde maritime, tant s'en faut. C'est donc une édition riche d'une dizaine de textes et d'illustrations inédites, présentées comme des chansons évoquant la vie des marins, le travail dans la marine marchande et la beauté des sites portuaires. Le style graphique s'est entretemps légèrement dépouillé, le style littéraire aussi, ce qui augmente encore l'intérêt de présenter cette ré-édition et ses prolongements dans l'imaginaire de l'auteur. Nous avons aussi voulu, pour cette présente édition, soigner particulièrement le choix du papier, des typographies et la fabrication du livre, pour vous offrir une lecture optimale de ce petit ouvrage à l'argot poétique et au dessin expressionniste.
À l'origine, il y a une exposition d'Alex Baladi à L'Atelier 20 de Vevey, des dessins originaux au format A4 qui déroulent une galerie de personnages, de motifs et de techniques. C'est Lador, écrivain complet et homme curieux par excellence, multi-spécialiste comme au temps de la Renaissance, qui s'empare des dessins de Baladi pour en faire un récit en contrepoint, en spirales, et offrir par là un éclairage inédit aux dessins de Baladi. Qu'on n'y trompe pas, Course est pensé comme une bande dessinée en ce sens que les tableaux, comme autant de cases, se succèdent et se répondent pour faire un récit. Narrativement, en arrière-plan des motifs récurrents, il y le thème voulu par le dessinateur Baladi : la course. Les personnages, sur leur starting-block au départ, partent, courent, vont, prennent la tangente, fuient, incertains, paniqués, goguenards, absurdes.
Entre fulgurances des lignes, magmas plastiques et gestes spontanés, Con-descendance met en exergue cinq années de désorganisation, de travail de sape et de valorisation du rien. En accompagnant ses figures hallucinées d'une philosophie du muscle et d'une critique des éléments offerts dans la lecture quotidienne du monde, Silio Durt révèle l'univers de l'en-deçà, les strates inavouables qui émanent des exactions de chacun et de l'accumulation des informations quotidiennes. Les névroses sociétales sont détournés afin de mettre en lumière, dans un flux généreux, une esthétique agressive?; une pensée en mouvement placée au service des êtres désaxés. Enfin, un bestiaire provocateur et enragé sort de l'atelier pour se faire l'avatar du Mongol Jovial. Cohérent en ce qu'il a de plus violent, les moyens d'arriver à cette joyeuse décontenance sont multiples?: de la tâche à la purulence des lignes, du monochrome sériel aux couleurs dégoulinantes. Silio Durt crée une ode au désordre, fluctue entre les schèmes classiques du beau et du bien?; il donne à voir un monde engagé où tout est à réinventer sous le rythme frénétique de la crise et de la décroissance. A. Spiegeler Con-descendance reprend toute une série de portraits réalisés par Silio Durt entre 2015 et 2020. Il s'agit d'une série de portraits d'enfants souriants à l'objectif du photographe scolaire, l'image parfaite de l'enfant sage, propre, en bonne santé, tel qu'on le montre encadré sur le buffet de la grand-mère, aux amis de la famille ou sur un réseau social. A ces image proprettes, Durt sur-imprime ces mots violents qu'ils ont tous entendus et qui, fatalement, les marquent et les poursuivent. Face à ces portraits, l'écrivain Vån TTX a placé des textes en rapport avec la violence des dessins.
En coédition avec IMAGEs Suite à une douloureuse rupture, Benjamin Monti remplit une multitude de pages de textes et de dessins. Pendant de longues années, il les reprend, les oublie et les publie en polycopies confidentielles, sans jamais achever l'oeuvre devenue monumentale. Une centaine de fragments recomposés par l'artiste et l'essayiste reparaissent et présentent des séquences poétiques habitées par une intense fièvre créatrice.
S'y dévoile ce qui finit et que personne n'achève jamais : le deuil, la vie et l'amour. Avec un essai inédit de Jean Charles Andrieu de Levis.
Sacro Monte, pour un lecteur distrait, est une ode au mauvais goût. C'est Stendhal en Italie, saisi de vertiges et d'hallucinations par l'excès des visions fantasmagoriques de décors de fêtes foraines et de processions chamarrées. Le Sacro Monte de Varallo, dans le Piémont, devait plonger le bon chrétien dans les extases du pèlerin au Golgotha, voyage en Orient rendu trop périlleux par l'Empire Ottoman qui régnait alors en terre sainte : on reconstitua le mont en des lieux moins hostiles, comme on bâtit encore partout des grottes de Lourdes, pour les jambes fatiguées des fidèles trop âgés.
Les 800 statues de bois et terre cuite polychromes, grandeur nature, retracent le drame de la vie, la passion, la mort et la résurrection du Christ, dans un milieu recouvert de fresques et envahi de rondes-bosses. Le choc esthétique n'est pas toujours un coup de foudre. C'est un événement qui peut surgir sans fracas, d'un détail qu'on n'avait jamais vu, qu'on n'aurait même jamais songé à regarder.
Les cloisons du bon goût nous en détournent. On sait d'avance ce qui est beau, qu'on oppose au vulgaire. Un goût bien formé se méfie des éclats, du brillant, des dorures, des puérilités de l'imitation, de tout ce fatras diapré qui plaît à la canaille. Heureusement, celui qu'un détail saisit, d'une faïence ou d'une volute, est pris dans une errance esthétique qui n'a plus de limite, il voit à nouveau tout ce que soustrayait le bon goût, et le vertige est partout.
L'idée est pourtant simple, puisque c'est celle d'une rencontre. Bien sûr, il y avait la covid, la crise sanitaire, l'annulation des festivals, le confinement et tout cet "inconnu" qui nous est tombé dessus. C'était un temps de tarissement du geste artistique qui plus est pour le spectacle vivant qui ne trouvait plus l'élément essentiel à son existence ; le rassemblement physique d'êtres humains autour d'une oeuvre que réalisent dans l'instant des actants.
Le théâtre des Doms imagine donc des rencontres entre les artistes dont il a programmé le spectacle dans le cadre du festival d'Avignon et des auteurs graphiques. Pari délicat et fragile, risqué peut-être. Les artistes ne se connaissaient pas et ne savaient rien de leur travail respectif et, pour corser la chose, celles et ceux qui allaient produire du dessin, n'avaient pas vu les spectacles en question.
Travail à l'aveugle avec pour seul support, une heure de visioconférence ! Le livre rassemble les contributions graphiques de Thomas Mathieu, Fabienne Loodts, Aniss El Hamouri, Aurélie William Levaux, William Henne, Xavier Löwenthal, Emilie Plateau, Aurélia Maurice et Pablito Zago. En coédition avec le Théâtre des Doms.
Menses ante Rosam est le récit d'une genèse.
Les mois avant Rosa, Aurélie Levaux a vu son corps se transformer, son ventre se déformer, son homme désorienté. Elle nous fait part de sa joie, de ses pleurs, de ses doutes, des très riches heures d'une grossesse. 50 dessins et broderies sur tissus et sur papier nous livrent un peu du mystère de l'enfantement, 50 broderies et dessins raconteront à Rosa l'attente impatiente de sa venue au monde. Les yeux du Seigneur fait directement suite à Menses ante Rosam : derrière les délicats ourlements brodés et sous la couture, il y a l'hymen déchiré et le placenta. Aurélie William Levaux tisse ses rêves d'interrogations douloureuses...
Jeune auteur à la bibliographie galopante - une dizaine de livres et des participations à divers collectifs et revues (Polychromies, Kiblind, Papier, Gorgonzola...) - Victor Hussenot exprime une vision affirmée de la bande dessinée.
Amateur de contraintes, jouant souvent avec les codes, il multiplie les projets dans des directions biens différentes, mais toujours connectées. Avec Les gris colorés, paru à La 5e Couche en 2014, Hussenot proposait une série d'histoires courtes et de dessins montrant les sensations et les relations des personnages uniquement par des couleurs et des formes. Cette fois-ci, le dispositif mis en place par l'auteur est de nous proposer 80 silhouettes qui sont autant de récits intimes ou de descriptions des sentiments. L'Oubapo a profondément marqué Hussenot, qui a vu dans les contraintes une manière de représenter visuellement des questions existentielles et temporelles avec la boucle par exemple, comme chez Escher que l'auteur apprécie beaucoup. Faire de la bande dessinée avec des contraintes, c'était un moyen de réfléchir aux questions humaines et universelles, tout en dessinant.
The Cubicle Island est un projet de bande dessinée post-numérique et conceptuel. Il s'agit d'une expérience sur les ramifications du travail numérique distribué. The Cubicle Island est le fruit d'un travail invisible, produit par une main d'oeuvre de rédacteurs humains sans qualification ou par des algorithmes. Elle embrasse les avancées de l'accélérationisme épistémologique et technologique permises par l'interconnection de la précarité globalisée.
Contexte historique : la plateforme de micro-travail distribué et numérique Amazon Mechanical Turk (AMT) a été pensée et conçue par Amazon en 2007. Elle répondait à la nécessité de développer des moyens informatiques pour résoudre les problèmes techniques insurmontables liés aux nombreux doublons présents dans la liste des produits du site de vente en ligne. Depuis, un large éventail de plateformes de micro-travail en ligne s'est développé, qui permet d'exploiter la force de travail d'un nombre d'ouvriers sans précédent, pour accomplir des tâches informatiques complexes.
Ces services permettent à un candidat travailleur de chercher, sélectionner et remplir des tâches variées, à la demande d'un tiers contractant qui recherche une main-d'oeuvre indépendante, flexible et peu qualifiée. Le travail peut être réalisé chez soi, sans aucune supervision managériale. Il peut s'agir de développer des bases de données, trier des images, s'abonner à des chaines YouTube ou rédiger des commentaires "crédibles" sur Aliexpress ou TripAdvisor.
L'expression "micro-travail" désigne une série de petites tâches remplies par de nombreux travailleurs disséminés sur la toile qui, rassemblées, contribuent à l'élaboration d'un seul et unique chantier. Les micro-travailleurs constituent le plus petit maillon, la plus petite unité de travail, d'une gigantesque chaîne de montage virtuelle. Ils sont le plus souvent utilisés pour des tâches qui requièrent l'intelligence humaine, parce qu'on ne dispose pas (encore) d'algorithme efficace capable de les remplir.
Chaque jour, des dizaines de milliers de micro-travailleurs se connectent sur les multiples marchés du travail en ligne et effectuent des dizaines ou parfois des centaines de tâches. Les micro-travailleurs se trouvent à un moment clé de l'Histoire du travail, un seuil dans l'accélération exponentielle des technologies de l'intelligence artificielle forte (IAF/AGI) qui "augurent d'une nouvelle ère d'abondance sociale et économique".
Le micro-travail, dont le déploiement (humain) distribué, externalisé dans les BRICS, sur plateforme, en régime contractuel zéro heure, avec tous les avantages que présentent les micro-transactions financières et le contournement absolu des lois sur le salaire minimum, est une forme d'Intelligence artificielle à bon-marché. On l'a rebaptisé "Intelligence artificielle artificielle" (IAA). Mais il y a plus : certains de ces micro-travailleurs sont des programmeurs.
Ils conçoivent des bots capables de répondre automatiquement aux tâches les plus courantes publiées sur les plateformes de travail en ligne. Il y a des bots capables de trier des images par OpenCV (Open Computer Vision), d'autres qui sont capables de compiler des bases de données ou qui excellent à saturer les serveurs de requêtes ou même à s'en prendre au DDOS. Ces bots scannent les plateformes de travail en ligne mal sécurisées, à la recherche des tâches pour lesquelles ils ont été conçus.
On les appelle "chasseurs aveugles" : chacun d'eux transporte une arme spécifique, qui ne peut tuer qu'une seule espèce dans un vaste écosystème, avec de maigres chances de succès. Les spambots imitent les micro-travailleurs humains, qui imitent eux-mêmes l'Intelligence Artificielle. The Cubicle Island est un projet constitué de quelques centaines de dessins d'humour de naufragé sur une île déserte, dont la légende a été effacée, pour lesquels j'ai commandé, sur l'interface des plateformes de travail digital les plus populaires, quelques 17.
000 contributions écrites. En variant la formulation des demandes, j'ai demandé explicitement aux micro-travailleurs de fournir un texte drôle de 50 à 70 mots pour chaque dessin, avec des résultats mitigés. Pour l'entièreté de la production, j'ai procédé à la sélection des bons et mauvais contributeurs et blacklisté ces derniers. Afin d'écarter les spams et les bots, j'ai patiemment consigné les centaines de codes alphanumériques identifiant chaque micro-travailleur sur les plateformes.
Les premiers mois ont été pénibles. Aucune contribution n'était, fût-ce même un peu, drôle. J'apprenais ainsi qu'être un auteur de blagues au New-Yorker n'est pas une tâche si facile. Un jour, j'ai reçu un texte qui se distinguait de tous les autres : à la place de ces légendes de 70 mots que je m'étais habitué à copier, coller, imprimer, découper et punaiser sur un tableau recouvrant tout un mur de mon appartement d'Athènes, j'ai reçu une transcription de plusieurs pages, 2275 mots d'une interview de Captain Beefheart.
C'est là que j'ai décidé de troquer mes listes de bons et mauvais contributeurs. En acceptant les contributions des algorithmes les plus courants, qui hantaient ce projet depuis sa conception, The Cubicle Island occupe un champ sémantique textuel, une vallée de l'étrange de l'Intelligence artificielle artificielle artificielle (IAAA). Sans délaisser la complexité sémantique et l'engagement du lecteur des dessins d'humour, The Cubicle Island met en évidence la conception (numérique) partiellement humaine distribuée.
Le sort des dessins, après leur passage à travers l'essaim des lecteurs des usines numériques ou leurs substituts algorithmiques, remet en question la primauté de la légende et du dessin en tant que facteurs caractéristiques et déterminants du format cartoon et de l'industrie de la bande dessinée. A l'ère du contrôle et de la transparence sélective du capitalisme, The Cubicle Island met en scène les nouvelles configurations de la répartition travail/loisir (le néologisme playbor, contraction de labour et play).
The Cubicle Island est une performance au long cours, fondée sur un demi-siècle de dessins d'humour d'île déserte, qui souligne l'isolement extrême produit par les nouveaux régimes de travail, dans la formation d'une nouvelle classe mondiale de travailleurs cognitifs précaires. Ilan Manouach
Le gaufrier (aussi appelé "moule à gaufres" quand il désigne l'ustensile ou qu'il devient une invective dans la bouche d'un certain marin) est une expression utilisée par Hergé pour désigner la grille d'images qui découpe la planche de bande dessinée. Hussenot s'empare du concept pour en constituer des variations infinies et ludiques jusqu'à épuisement : personnages et décors se le coltinent, le subissent, s'y empêtrent ou s'en affranchissent cruellement ou joyeusement.
"Cracking" rassemble les travaux graphiques que Tommi Musturi a réalisés pour différents supports, depuis 2013. Il contient des travaux plastiques personnels, des illustrations de presse, des pochettes de disque, des croquis, du pixel art, etc. C'est un foisonnement de styles, de techniques et de points de vue, débordant de formes et de couleurs. Un texte de l'auteur nous livre ses réflexions sur son travail et sur la porosité des champs artistiques.
"Cracking" livre un regard sur l'art, au-delà de l'artiste lui-même. Il fait suite à "Beating", qui rassemblait ses travaux antérieurs jusque 2013. Tommi Musturi (né en 1975) est un auteur et un artiste finlandais qui s'exprime le plus souvent en bande dessinée. Véritable caméléon stylistique, il traite souvent de thèmes existentiels autour de l'idéal de la "liberté" . Il emprunte une grande diversité de moyens, du simple griffonnage à la création ex abrupto de style spécifique au discours.
Musturi est également éditeur et curateur. Il a déjà commis plus de quarante publications, du fanzine à la monographie en passant par la bande dessinée et il a participé à plus de 200 expositions à travers le monde. Ses oeuvres les plus célèbres sont les bandes dessinées "Samuel" et "Les Livres de M. Espoir" . Musturi vit avec sa femme et sa fille dans le petit village de Siuro, dans le sud de la Finlande.
Il travaille au sein du collectif de bandes dessinées contemporaines Kutikuti (2005-).
Jeune dessinateur flamand de la vague « graphic punk » qui déferle actuellement dans le paysage éditorial mondial, Lukas Verstraete est aussi un héritier et un ambassadeur de l'école flamande. Combinant une bonne dose d'humour et une dimension métaphysique omniprésente, il nous livre ici avec Ramone une oeuvre à l'esthétique spontanée mais néanmoins audacieuse. Narration hybride faite de questionnements et de doutes sur notre nature humaine, Ramone, sous ses dehors naïfs, révèle de façon souvent métaphorique un discours sous-jacent sur le but de notre existence, le chemin parcouru pour en arriver là, l'homme en quête de son évolution et d'une place dans la société, le personnage ne faisant que courir vers la fin de l'histoire, poursuivis que nous sommes par le regard des autres. Autant de questions symboliques au travers des yeux de ce personnage arborant ce montéra de toreador, pris dans une quête initiatique, pleine de rebondissements et d'aventures.
On considère ce qu'on voit, dans une bande dessinée, dans une double évidence : l'image ne laisserait rien échapper à notre regard, elle serait toute entière affirmation d'elle-même ; et l'image serait rendue plus évidente encore par le récit, dont elle ne serait que le contexte. Mais si le fait même de regarder devenait l'objet d'un récit ? S'il n'y était question que des rapports entre différents moments du regards, différentes façons de regarder, différents angles de vues ? et si cette question prenait son sens dans des questions politiques, celles par lesquelles un monde, une nation, une cité, se construit précisément en donnant à voir uniquement certains points de vue et en les appelant "réalité" ? Dans le chaos apparent des images de ce livre se dessine une forme d'éducation au regard, au discernement, à la conscience rénovée de la puissance politique des images.